Contexte historique

Jeter un regard sur le cheminement historique de la prévention spécialisée apparaît nécessaire si l’on veut mettre en évidence l’inscription de cette intervention socio-éducative  dans l’espace public dès son origine. En fait, il ne faut pas perdre de vue que depuis le début, de son émergence à sa construction, le milieu naturel de vie des jeunes, c’est-à-dire la ville, le quartier, la rue, constituent les lieux d’ancrage et de développement de la prévention spécialisée.

Fondations

Les premières expériences de la Prévention Spécialisée débutent après la seconde guerre mondiale, lorsque les jeunes délinquants et pré-délinquants, à l’origine logés dans des internats, ne se contiennent plus et provoquent des turbulences dans les villes au dépend des habitants. La prévention dans la rue, le travail de rue, « forme de présence sociale privilégiée des pionniers »[1], apparaît alors comme une solution aux limites de l’Education Nationale. A cette époque, seules des actions collectives de type activités sportives ou construction de chantiers sont mises en œuvre pour occuper ces jeunes. La notion de travail de rue, c’est-à-dire aller à la rencontre des jeunes dans leur milieu naturel, n’apparaît que dans les années 1950, d’abord effectués par des bénévoles. Ces expériences se font remarquer dans différentes villes, les acteurs ont alors l’idée de se regrouper pour échanger sur leurs pratiques. Une doctrine s’en dégage au fil du temps.

Un premier texte, l’arrêté du 07 janvier 1959 offre, alors, les premiers financements à ce type d’action et reconnaît ainsi ce travail comme un maillon manquant de la chaîne de l’action sociale.

Par arrêté du 14 Mai 1963, le Haut Commissariat à la Jeunesse et aux sports crée le Comité National des Clubs et Equipes de Prévention, chargé de dévoiler les règles et méthodes employées envers ces jeunes dits « inadaptés »[2]. Cet arrêté fixe les postulats de la Prévention, à savoir l’absence de mandat nominatif, la libre adhésion et le respect de l’anonymat. Les clubs et équipes de prévention, alors créés et animés par des bénévoles militants des mouvements de l’éducation populaire, vont ainsi acquérir une reconnaissance officielle et seront fermement engagés auprès des jeunes les plus exclus et marginaux. Ces éducateurs deviennent des professionnels, lorsque la branche se mobilise pour introduire la convention collective du 15 mars 1966.

En 1970, la prévention quitte le giron de la Jeunesse et des Sports, pour être rattachée au Ministère de la Santé et plus particulièrement au secteur de l’Aide Sociale à l’Enfance.

Un nouvel arrêté du 04 juillet 1972 intègre la prévention à la politique  de protection de l’enfance et officialise enfin l’existence de la Prévention Spécialisée, comme solution d’action en direction des jeunes et des milieux les plus en difficultés. Cet arrêté institue un Conseil Technique des Clubs et Équipes de Prévention Spécialisée chargé, notamment, de donner « des avis sur les problèmes d’ordre général que posent les clubs et équipes de prévention sur les méthodes et les techniques en matière de prévention de l’inadaptation sociale« . Cet arrêté détermine également l’activité et les modalités d’existence des clubs et équipes de prévention, instaure la professionnalisation en reconnaissant la nécessité de disposer d’une équipe de travailleurs sociaux expérimentés à côté de bénévoles compétents.

 

Cadre législatif

La loi de décentralisation du 22 juillet 1983, réalisant le transfert de compétences entre l’Etat et les Collectivités Territoriales en matière d’action sociale, est imprécise quant à la place de la prévention spécialisée au sein du secteur de l’aide sociale à l’enfance. C’est la loi 86-17 du 06 janvier 1986, dite loi particulière, qui clarifie la place de la Prévention Spécialisée au sein de l’aide sociale, compétence départementale.

L’Article 45 du Code de la Famille et de l’Aide Sociale définit que « dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale, le département participe aux actions visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles. Ces actions comprennent des actions dites de prévention spécialisée auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec leur milieu. »

 

Ainsi, l’objectif de la Prévention Spécialisée est de prévenir la marginalisation et de faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec le milieu, souvent non repérés par les structures socio-éducatives classiques.

 

La loi du 02 janvier 2002 va procéder à la rénovation du cadre de l’action sociale et médico-sociale (déjà évoquée dans loi de 1986) avec l’élaboration de schémas d’organisation sociale et médico-sociale à une échelle régionale et départementale. Ces schémas prévoient l’extension à de nouveaux types d’établissements et services de l’obtention d’une autorisation des établissements et services sociaux et médico-sociaux, après avis du Comité Régionale de l’Organisation Sociale et Médico-Sociale (CROSMS). La loi de 1986, prévoyait la mise en place dans chaque établissement et service d’outils d’évaluation interne. Celle de 2002 codifie la procédure d’évaluation à laquelle sont soumis les établissements et services sociaux et médico-sociaux. Ainsi, la loi introduit une démarche d’auto évaluation communiquée tous les cinq ans à l’autorité administrative et une évaluation dite externe pratiquée par un organisme indépendant au cours de la période d’habilitation.

 

La nouvelle codification du code de la famille et de l’action sociale, désormais intitulé code de l’action sociale et des familles (CASF), qui, dans un premier temps ne positionnait plus expressément la prévention spécialisée dans les missions de l’aide sociale à l’enfance, mais la classait parmi les compétences générales du département, réintègre la prévention spécialisée dans le champ de l’aide sociale à l’enfance, suite à l’amendement gouvernemental apporté par le ministre des affaires sociales à la loi du 02 janvier 2002 rénovant les institutions sociales et médico-sociales (Art. 82 de la loi) et par l’ordonnance n° 2005-1477 du 1ier décembre 2005. C’est la combinaison des articles L 121-2 et 221-1-2 du CASF, qui constitue la base légale des actions de prévention spécialisées.

 

Le 05 mars 2007 deux lois impactant plus ou moins la prévention spécialisées sont promulguées. L’une concerne la protection de l’enfance, elle renforce et légitime les éducateurs de prévention spécialisée. L’autre, sur la prévention de la délinquance, installe une certaine confusion sur les rôles et missions des structures de prévention spécialisée et aurait tendance à favoriser leur instrumentalisation par les élus investis des nouvelles responsabilités qui les incombent.

 

La loi du 05  mars 2007 réformant la protection de l’enfance s’appuie sur l’affirmation de trois objectifs :

  • renforcer la prévention, en essayant de détecter le plus précocement possible les situations à risque par des bilans réguliers aux moments essentiels de développement de l’enfant : entretiens systématisés au 4ème mois de grossesse, visite à domicile dans les premiers jours suivant la sortie de maternité, bilans systématiques à l’école maternelle, puis en primaire,…
  • réorganiser les procédures de signalement : création dans chaque département d’une cellule spécialisée permettant aux professionnels liés par le secret professionnel et intervenant pour la protection de l’enfance dans les domaines sociaux, médico-sociaux ou éducatifs de mettre en commun leurs informations et d’harmoniser leurs pratiques. Hors de ces structures spécialisées la règle du secret continue de s’imposer.
  • diversifier les modes de prise en charge des enfants : possibilité d’accueils ponctuels ou épisodiques hors de la famille sans pour autant qu’il s’agisse d’un placement en établissement ou en famille d’accueil.

 

Des amendements ont été ajoutés par le Parlement portant notamment sur l’obligation de visites médicales gratuites tous les 3 ans pour les enfants entre 6 et 15 ans, l’instauration de peines de prison pour les refus de vaccination, les conditions d’audition des mineurs dans les affaires judiciaires les concernant.[1]

 

Au-delà de ces trois points qui protègent l’enfant de la maltraitance, cette loi fait une place importante à la prévention de la dégradation de la situation familiale susceptible d’entamer les besoins fondamentaux de l’enfant. Dans ce cadre, la prévention spécialisée à un rôle fondamentale à jouer car l’accompagnement social d’un jeune conduit souvent les éducateurs à prendre en charge, en lien avec d’autres travailleurs sociaux, des problématiques familiales.

 

La loi du 05 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance est centrée sur le traitement de la délinquance des mineurs, intègre également des mesures concernant les violences conjugales, les infractions sexuelles et la consommation de drogues.

 

Le maire est l’animateur essentiel de cette politique. Dans les communes de plus de 10000 habitants il est obligatoire de constituer un Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, organisme regroupant le préfet et le procureur de la République, des élus locaux, des représentants des administrations de l’État et des représentants des associations, organismes et professions concernés par les questions de sécurité. Le maire doit être davantage impliqué dans l’aide et l’orientation des familles en difficulté, recevant les informations confidentielles en provenance des travailleurs sociaux. Il peut proposer aux parents de mineurs en situation difficile un accompagnement parental, il doit réunir un Conseil pour les droits et devoirs des familles et il a la possibilité de désigner un coordonnateur parmi les travailleurs sociaux intervenant dans une même famille. Le maire a également le droit de procéder à un rappel à l’ordre verbal à l’encontre des auteurs de faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou à la salubrité publique. »[2]

 

Cette première partie de la loi est celle qui impacte le plus la prévention spécialisée. Elle questionne ses pratiques car les pouvoir publics, les élus, les maires en particulier, font un amalgame sur le terme de prévention. Sur cette question elle est assez peu mise en œuvre. Par contre, son application génère des synergies qui peuvent permettre une meilleure compréhension de la démarche de prévention spécialisée et donc la légitimer.

 


[1] www.vie-publique.fr

[2] www.vie-publique.fr


[1] Voir les écrits fondateurs – Paul Henry CHOMBART de LAUWE

[2] Selon le vocabulaire employé de l’époque.